
Enseignant ou Thérapeute Complémentaire ?
Le Faux Dilemme
La communauté de la Technique Alexander débat souvent pour savoir si nous sommes des « enseignants » ou des « thérapeutes complémentaires ». Cette question apparemment simple pourrait révéler un défi plus profond : les deux étiquettes, lorsqu’elles restent non définies, pourraient créer de la confusion plutôt que de la clarté. Peut-être que le problème ne consiste pas nécessairement à choisir un camp, mais plutôt à explorer si nos cadres actuels servent adéquatement tant les praticiens que ceux qui cherchent notre aide.
Contexte Historique et Évolution Moderne
Lorsque F.M. Alexander développa sa technique à la fin du XIXe siècle, une grande partie du paradigme thérapeutique tendait à être plus passif – les patients recevaient souvent un traitement tandis que les thérapeutes assumaient la plupart de la responsabilité du processus de guérison. Définir son travail comme « éducatif » pourrait avoir été à la fois un reflet authentique de son approche et une réponse pratique au climat médical de son époque.
Le paysage d’aujourd’hui est radicalement différent. Les clients modernes cherchent activement de l’aide pour changer et grandir, prenant la responsabilité de leur propre bien-être. Que cette aide vienne d’un « enseignant » ou d’un « thérapeute » importe moins que de trouver des conseils efficaces pour la transformation personnelle.
Le Problème des Étiquettes Non Définies
Les deux termes « enseignant » et « thérapeute », sans définition claire, deviennent des contenants vides remplis de stéréotypes culturels – exactement le genre d’idées préconçues dont la Technique Alexander cherche à nous libérer. Lorsque nous utilisons des mots familiers pour décrire une expérience non familière, nous créons inévitablement des attentes mal alignées.
À l’époque d’Alexander, choisir de s’identifier comme « enseignants » aurait aussi pu servir à créer une certaine séparation du monde médical et thérapeutique de cette époque. Éviter l’étiquette de « thérapeute » leur permettait de rester en dehors du territoire du diagnostic et du traitement – domaines réservés aux médecins. Être « enseignants » offrait une portée plus large précisément parce que c’était moins défini en termes de responsabilités et d’obligations professionnelles spécifiques.
À une époque dépourvue de systèmes modernes de protection de la propriété intellectuelle, définir clairement son identité professionnelle servait aussi à préserver l’intégrité et l’authenticité du travail développé. Créer une catégorie professionnelle spécifique – « enseignant de Technique Alexander » – représentait un moyen de se distinguer dans un paysage où les approches innovantes pouvaient facilement être diluées ou mal comprises.
C’était probablement un choix stratégique qui permettait une plus grande liberté d’action dans un contexte où le domaine médical définissait ses frontières avec une rigueur croissante, tout en protégeant simultanément la spécificité de la méthode.
Chaque étiquette professionnelle porte des bagages culturels. Notre responsabilité est de redéfinir clairement ces termes dans notre contexte, ou risquer de perpétuer les malentendus mêmes que notre travail cherche à adresser.
Comment « Enseignant » Pourrait Créer des Contradictions
Le modèle d’enseignement traditionnel pourrait contredire notre travail à tous les niveaux :
- L’enseignement traditionnel se concentre sur le contenu, les résultats mesurables et les objectifs linéaires
- La Technique Alexander met l’accent sur le processus, la conscience subtile et l’exploration non linéaire
- L’enseignement traditionnel maintient une hiérarchie verticale enseignant-étudiant
- La Technique Alexander crée des relations horizontales et collaboratives
- L’enseignement traditionnel concerne le « bien faire » et l’acquisition de compétences
- La Technique Alexander se centre sur le « non-faire » (inhibition) et la qualité de l’expérience
Le « non-faire » doit être expérimenté avant de pouvoir être compris – c’est une qualité de conscience qui émege par l’expérience directe. Cela soulève une question : « enseignons »-nous au sens conventionnel, ou facilitons-nous quelque chose de plus subtil ?
Le cadre de la thérapie complémentaire pourrait décrire plus précisément ce que beaucoup font déjà : créer les conditions pour que de nouvelles qualités de conscience émergent naturellement. Il ne s’agit pas d’abandonner ce qui fonctionne, mais de considérer si un cadre conceptuel différent pourrait mieux servir.
Le Cadre de la Thérapie Complémentaire
La thérapie complémentaire moderne pourrait offrir un conteneur plus cohérent pour notre travail :
- Se concentre sur le renforcement de la conscience et de l’autorégulation
- Promeut l’autonomisation personnelle et le développement des ressources
- Adopte des approches holistiques et orientées processus
- Valorise explicitement l’expérience directe et la suspension des patterns habituels
- Honore l’unicité et les traditions de chaque méthode spécifique tout en maintenant l’intégrité méthodologique
- Met l’accent sur un travail pratique et incarné plutôt que sur des approches théoriques – intégratif et inclusif par nature
- Reconnaît la transformation et la croissance comme un processus continu pour le client et le praticien
Le grec original « therapeia » signifiait simplement « soin » ou « service » – pas traitement de maladies.
Standards Professionnels et Attentes du Public : Le Modèle Suisse
En Suisse, les thérapies complémentaires ont évolué vers des professions bien définies et formellement reconnues. Le gouvernement fédéral suisse soutient la thérapie complémentaire par le biais d’une formation professionnelle supérieure qui a été intégrée dans le curriculum éducatif national officiel.
La contribution offerte par un tiers spécialisé dans le contexte éducatif et de formation fournit non seulement une perspective spécialisée, mais aussi des garanties potentielles pour les professionnels, le public et les institutions que certains critères, paramètres et normes professionnelles sont respectés dans le contenu, la forme et l’architecture de tels projets.
Cette reconnaissance institutionnelle offre un exemple concret de la façon dont la thérapie complémentaire peut être valorisée comme une discipline autonome, avec son propre corpus de connaissances, de compétences et de normes professionnelles. Le modèle suisse suggère qu’il est possible de concilier l’approche complémentaire avec les exigences contemporaines de professionnalisme, de qualité et d’intégration dans les systèmes de santé et d’éducation.
Au-delà des Étiquettes : Communication Claire
Le vrai défi n’est pas de choisir la bonne étiquette, mais de définir clairement ce que nous entendons par quelque étiquette que nous utilisions. Dans notre contexte contemporain, où les clients sont des participants conscients de leur croissance, ce qui importe le plus est une communication transparente sur :
- La nature de notre relation collaborative
- L’approche unique, orientée processus de la Technique Alexander
- Comment notre travail transcende les attentes conventionnelles tant de l’enseignement que de la thérapie
Conclusion
Que nous nous appelions enseignants ou thérapeutes complémentaires, notre responsabilité demeure la même : communiquer clairement que les clients s’embarquent dans un voyage qui transforme les attentes conventionnelles tant de l’enseignement que de la thérapie.
L’évolution vers une plus grande responsabilité personnelle en santé crée des opportunités. Nous pouvons maintenant nous engager avec des clients prêts pour des relations collaboratives et exploratoires – indépendamment de notre titre professionnel. La clé est de s’assurer que notre étiquette choisie clarifie plutôt qu’elle n’obscurcit la nature unique de notre travail.
La Technique Alexander nous invite au-delà des catégorisations rigides. Peut-être est-il temps que notre identité professionnelle reflète cette même ouverture dans la transcendance des définitions limitantes.
©2025 Ettore ARCAIS
Thérapeute Complémentaire avec Diplôme Fédéral OrTra TC
Directeur de CTAN, le Centre de Formation Professionnelle de la Technique Alexander à Neuchâtel, Suisse
Photo Debby Hudson